23 Janvier 2020

L’eau s’échappe de Mars encore plus vite que prévu

Grâce aux données acquises par la sonde russo-européenne TGO, une équipe internationale met en évidence que Mars perd son eau plus vite que la théorie et les observations passées ne le prévoient. Ces résultats ont été publiés dans Science le 9 janvier 2020.
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Représentation d'artiste de la sonde TGO de la mission ExoMars analysant l'atmosphère martienne. Crédits : ESA/ATG MEDIALAB.

Une équipe internationale emmenée par 2 scientifiques de l’Institut de recherche spatiale de l'Académie russe des sciences (IKI) et Franck Montmessin, chercheur au LATMOS, a analysé les profils verticaux de vapeur et glace d’eau, de température et de poussières acquis par l'instrument ACS (Atmospheric Chemistry Suite) de la sonde TGO (Trace Gas Orbiter) entre avril 2018 et juin 2019. Durant cette période, la planète rouge a été :

  • le théâtre d'une tempête de poussière globale de fin mai à mi-septembre 2018 
  • au plus proche du Soleil (au périhélie) en octobre 2018 recevant alors 25 % de flux solaire en plus qu’à l’aphélie. 

Franck Montmessin est co-investigateur principal de l'instrument ACS. Crédits : Cécile Takacs/LATMOS CNRS. 

Un échappement d'eau plus important AU périhélie

« Les tempêtes de poussière ont changé les choses comme on l’attendait. Il y a eu une forte agitation atmosphérique avec beaucoup de poussières, une hausse des températures, du vent qui ont transporté la vapeur d’eau à des altitudes où les molécules d’eau se sont trouvées confrontées aux rayons UV qui les ont dissociées en atomes d’hydrogène et oxygène suffisamment légers pour s’extraire de la faible pesanteur martienne et rejoindre l’espace interplanétaire. Mais, ce que nous n'attendions pas, c'est que cette agitation atmosphérique est de 2 à 3 fois plus importante lorsque Mars est proche du Soleil ! Les modèles climatiques n’intègrent actuellement pas un échappement aussi fort au périhélie » indique Franck Montmessin, co-investigateur principal du spectrommètre ACS auquel plusieurs laboratoires français ont fortement contribué. 

L'orbite de Mars est beaucoup plus elliptique que l'orbite de la Terre. Crédits : NASA.

Cycle de l'eau dans l'atmosphère de Mars

Chauffée par le Soleil, l'eau des calottes polaires passe à l’état gazeux. La vapeur d'eau est alors transportée par les vents à des altitudes plus élevées et plus froides où, en présence de particules de poussière, elle peut se condenser en nuages. Dans la haute atmosphère, le rayonnement UV du Soleil dissocie les molécules d’eau en atomes d’hydrogène et oxygène. 

Crédits image : ESA.

 

Une sursaturation extrême inexpliquée

Autre découverte : des poches de vapeur d’eau de quelques km à plusieurs dizaines de km de large se maintiennent pendant plusieurs mois à plus de 80 km d’altitude dans un état de sursaturation extrême, contenant de 10 à 100 fois plus de vapeur d’eau que la température ne permet en théorie de contenir. « Un nombre plus important d’atomes d’hydrogène et d’oxygène sont alors capables de s’échapper de Mars accélérant la perte de l’eau martienne sur le long terme. Ces poches d'eau pourraient expliquer les observations de bouffées brillantes d’hydrogène en partance de Mars observées depuis 2014 par le télescope Hubble et la sonde Mars Express » souligne le chercheur.

Pourquoi cet excès de vapeur d’eau, en sursaturation dans l'atmopshère martienne, ne se condense-t-elle pas en cristaux de glace pour alimenter les nuages que l’on observe parfois aux mêmes endroits ? « Cela pourrait venir du temps de la réaction. Pour la condensation, ce temps caractéristique est censé être très court en conditions normales (seconde à minute) mais pourrait se révéler beaucoup plus long lorsque la réaction se déroule à -200°C et à une pression de l’ordre du microbar. Cette absence de condensation a un impact fort sur l’échappement car 1) davantage de molécules d'eau sont confrontés aux UV et 2) les nuages sont censés agir comme des « pièges froids » (comme sur Terre) empêchant la vapeur d’eau d’accéder aux altitudes supérieures. »

Le pôle nord de Mars est recouvert d'une calotte polaire constituée d’un empilement, sur 3 km d’épaisseur environ, de couches de glace d’eau et de dioxyde de carbone, de poussière. Image réalisée à partir des données obtenues lors de 32 survols par la sonde européenne Mars Express entre 2004 et 2010. Crédits : ESA.

disparition progressive de l’eau sur Mars

Ces résultats publiés dans Science seront intégrés dans les modèles climatiques de façon à mieux retracer les processus qui ont fait évoluer Mars d’une planète humide au monde sec et aride connu aujourd’hui. A noter : ces résultats ne remettent pas en cause les projets d’exploration humaine de Mars. Même si Mars perd son eau plus rapidement que prévu, ses calottes glacées ne disparaîtront pas avant un bon milliard d’années. « Mars contient une si grande quantité d'eau glacée que, fondue, elle représenterait une couche liquide épaisse de plus de 10 m entourant la planète » précise Franck Montmessin.

Représentation d’artiste de Mars primitive avec un océan recouvrant son hémisphère Nord. Près de 90 % de cette eau s’est échappée dans l’Espace. Crédits : NASA/GSFC.

RÉFÉRENCES DE LA PUBLICATION

Fedorova et al. (2020), Stormy water on Mars: the distribution and saturation of atmospheric water during the dusty season. Science, 367 (6475), 297-300. DOI: 10.1126/science.aay9522

CONTACTS

  • Franck Montmessin, chercheur au LATMOS : franck.montmessin at latmos.ipsl.fr 
  • Michel Viso, responsable du programme d'exobiologie au CNES : michel.viso at cnes.fr