17 Avril 2019

[ExoMars] 1ers résultats de la sonde TGO : absence de méthane et fuite de vapeur d'eau

Deux articles parus dans Nature dévoilent les 1ers résultats de la sonde Trace Gas Orbiter du programme ExoMars. Pas de détection globale de méthane mais de nouvelles mesures pour étudier la vapeur d’eau qui s’échappe de l’atmosphère martienne. Explications de Franck Montmessin, chercheur au LATMOS et co-auteur de ces 2 articles.

Le 01/04/2019, un article dans Nature Geoscience révélait que la sonde européenne Mars Express avait détecté une bouffée de méthane dans le cratère Gale, en juin 2013, au même endroit que le rover Curiosity. Le 10/04/2019, soit 10 jours plus tard, vous rapportez que la sonde Trace Gas Orbiter (TGO) d’ExoMars, qui a pourtant été conçu pour détecter ce gaz à l’état de trace, n’a rien trouvé dans l'atmosphère martienne.

Comment expliquer ces résultats contradictoires ? 

Franck Montmessin : Pour l’instant, il n’y a pas d’explication. Curiosity a établi un fond permanent de méthane variant entre les saisons entre 0,2 et 0,7 ppbv (NDLR : ‘’parties par milliard en volume’’, soit le nombre de molécules de méthane par milliards de molécules d’air). Les spectromètres de TGO sont capables de détecter des concentrations 10 à 100 fois plus faibles, de repérer 50 molécules de méthane parmi 1 000 milliards. Or, TGO n’a pas jamais détecté de méthane atteignant la valeur limite de 0,05 ppbv, ni même celle 0,012 ppbv réalisée lors d’une mesure effectuée à 3 km seulement au-dessus de la surface. Cela ne semble pas lié à un problème technique. Les instruments ACS et NOMAD de TGO fonctionnent bien. Ils détectent correctement et avec une précision inégalée les autres gaz : le dioxyde et le monoxyde de carbone, la vapeur d’eau, ainsi que leurs isotopes respectifs, ce qui réclame une extrême sensibilité. 

Pour réconcilier les résultats des missions MSL, Mars Express avec ceux de TGO, il faudrait imaginer un processus rapide, et encore inconnu, détruisant le méthane entre la surface (là où Curiosity et Mars Express l’ont mesuré) et 3 km d’altitude (là où TGO a réalisé ses plus basses observations). Mais, cela contredit la théorie qui établit que le méthane a une durée de vie de plusieurs centaines d’années dans l’atmosphère martienne, ce qui suffit à le répandre uniformément en se diluant sur toute la planète en à peine quelques mois. Soyons pragmatiques, nous avons encore quelques années devant nous pour mettre tout cela au clair. TGO poursuit ses mesures et va couvrir davantage la surface de Mars. Le satellite n’a pas encore survolé le cratère Gale où se trouve Curiosity même s’il s’en est approché. Il va le faire dans les mois à venir. 

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Franck Montmessin est le co-investigateur principal (co-PI) du spectromètre ACS (Atmospheric Chemistry Suite) embarqué sur le satellite TGO. Crédits : Cécile Takacs/LATMOS CNRS.


Illustration de la sonde TGO analysant l’atmosphère martienne par la méthode d’occultation solaire. La manière dont la lumière solaire est absorbée par l’atmosphère révèle les empreintes chimiques des gaz desquelles on peut déduire leur concentration. Crédits : ESA/ATG MEDIALAB.

   La quête du méthane martien

Si le méthane passionne les chercheurs — et le grand public, c’est qu’il est produit sur Terre à 90 % par des processus biologiques. Trouver du méthane dans l’atmosphère de Mars n’est toutefois pas forcément la preuve d’une vie microbienne actuelle ou passée (le méthane serait alors resté emprisonné dans des poches souterraines et libéré aujourd’hui). Le méthane est en effet aussi produit par des processus géologiques, par exemple par des réactions chimiques. Il peut également être amené par des météorites ou comètes quand celles-ci viennent s’écraser sur Mars. 

 

Vous avez par contre trouvé des résultats intéressants sur la vapeur d’eau. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

F. M. : Nous avons eu la chance de commencer les mesures 2 mois avant la tempête de poussière planétaire et ainsi voir son impact sur la distribution verticale de la vapeur d’eau et celle de son isotope. Lorsqu’il y a beaucoup de poussière dans l’atmosphère, le thermomètre sur Mars augmente de plusieurs dizaines de degrés. La vapeur d’eau monte alors en altitude et cela pour 2 raisons : (1) quand l’atmosphère est plus chaude, sa capacité à retenir de la vapeur d’eau est plus grande et (2) les phénomènes de circulation atmosphérique (en somme, les vents martiens) sont amplifiés, permettant aux cellules qui la composent de s’étirer beaucoup plus haut en altitude, emportant avec elles la vapeur d’eau. Ces résultats constituent une avancée considérable pour retracer l’histoire de l’eau sur Mars. 

Comment cela ? 

F. M. : Nos résultats apportent des informations importantes pour expliquer comment l’eau s’est échappée et s’échappe encore de Mars. Quand la vapeur d’eau est confinée dans les basses couches de l’atmosphère, sous 30 km d’altitude environ, elle est protégée des effets des rayons ultra-violets. Par contre, quand elle monte plus haut, les rayons UV ne sont plus assez filtrés par le dioxyde de carbone et vont la dissocier en atomes d’hydrogène et oxygène. L’hydrogène, très léger, est alors capable de se propager encore plus haut jusqu’à atteindre la limite au-delà de laquelle la gravité martienne ne le retient plus. Cela explique la fuite significative d’atomes d’hydrogène dans l’espace lors des tempêtes de poussières martiennes. Mais cette fuite est sélective. L’isotope semi-lourd de la vapeur d’eau, HDO, qui comporte un atome de deutérium à la place d’un atome d’hydrogène, est en effet moins affecté par l’échappement car l’atome de deutérium qu’il comporte a beaucoup plus de mal à se propager verticalement, étant plus lourd que l’hydrogène, ce qui rend HDO plus captif de l’atmosphère martienne. Sur Mars, il y a un excès d’eau deutérée (appelée aussi eau semi-lourde) qui est 5 à 6 fois plus concentrée que celle des océans terrestres. Si l’on suppose que la Terre et Mars ont démarré avec les mêmes proportions d’eau deutérée, cela implique nécessairement que Mars possédait au moins 5 à 6 fois plus d’eau par le passé. Actuellement, si l’on faisait fondre les grands glaciers martiens, une couche épaisse de 10 à 20 m d’eau pourrait recouvrir Mars. Alors qu’il y a plusieurs milliards d’années, cette couche faisait plus de 100 mètres, peut-être plus encore. Mais cette estimation dépend de notre compréhension des phénomènes qui retiennent l’eau deutérée par rapport à l’eau standard, ce que TGO va nous permettre d’éclaircir.

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Publications

 

Contacts

  • Franck Montmessin, chercheur au LATMOS / franck.montmessin at latmos.ipsl.fr / 01 80 28 52 85
  • Michel Viso, responsable du programme d'exobiologie au CNES / michel.viso at cnes.fr / 01 44 76 79 51